Apprends-moi à nager pour mieux habiter.

Habiter se pleure,
Un travail perdu, un demain incertain, une difficulté devient insurmontable. Puis une précarisation, une dépression, des pleurs et toujours plus profondément, la tête est sous l’eau. Le toit devient pesant au dessus, le payer fait couler les économies ou creuse la dette.
Plus le temps de respirer. 
Remplir les poumons devient un danger. 
Essoufflement général. 
À Paris et ailleurs, le confinement appuie sur la tête de ses habitants. La maladie est bien plus profonde que dans les alvéoles des poumons. 
Quand sera-t-il possible de reprendre un souffle ?

Habiter se noie, 
La vallée de la Roya est un paysage chaviré. 
Au quotidien, les habitants voient ces habitats coupés en deux, sans vie, emportés par l’eau. 
Un canapé pend encore en équilibre. 
Des murs sont au milieu du fleuve. 
La reconstruction sera lente, commençons par des fondations qui seront assez adaptables pour un avenir commun avec la nature. 
Chacun ses droits, qu’ils soient en accord et à l’écoute. 
Et battons-nous pour que chacun puisse habiter et revenir dans cette vallée.

Habiter un naufrage, 
Paris expulse des  femmes et des hommes à la rue. 
Ils sont enfermés dehors sans même une toile de tente. 
La violence des actes.
Et pourtant…
S’exiler pour se protéger
Être dans un endroit au chaud, un toit
L’accueil doit être inconditionnel
La république ne doit pas tourner le dos
Liberté égalité ne pas couler

Espérer une bouée,
L’Espace Solidarité Habitat, reste debout dans l’orage,
Accueille,
Reste ouvert au public,
Navigue sur la vague,
Et n’hésite pas à plonger pour garder la tête hors de l’eau de nombreux ménages.
L’arche avance pour une lutte, pour l’accès aux droits.

Cher Espace Solidarité Habitat,
Ces 3 mots résonnent beaucoup ici.

La vallée est déchirée et défigurée,
Je n'ai pas eu le temps d'avoir assez de souvenirs dans ses paysages,
Le lit de la Roya a tout emporté.

Depuis la tempête,
pas le temps de se poser et prendre du recul,
tout le monde est dans l'action et la solidarité,
sous le bruit incessant des hélicoptères,

Les ponts vont se reconstruire petit à petit,
mais les liens entre les gens sont mis à mal,
Beaucoup se demandent si il faut rester ou partir ?
Certains sont déjà partis.
ça fait mal.

Des villages vont devenir fantôme au pied de mon quotidien,
Des vieillards ayant toujours habité là préfèrent se laisser mourir que voir leur vallée mourir,

Penser aux victimes non retrouvées sûrement ensevelies sous les mètres de sables du nouveau lit de la Roya,
nos prochaines plages seront mortuaires,
Voir ces maisons coupées en deux,
Voir ces vides où avant il y avait une maison, une vie, un quotidien
Et ces familles n'ayant plus le droit de rentrer chez elles sans pompiers pour chercher un vêtement, un souvenir,
Au cas où le bâtiment s'effondre.
La Roya a léché les fondations de beaucoup de vies.
Accueillir toutes ses familles et les équipes de sauveteurs.

Rester positif,
tellement de sourires partagés.
Faire la chaîne humaine de seaux de boue ou de pack d'eau soudent les gens qui ne se parlaient pas,
Offrir la chasse ou les petits plats des congélateurs qui se dégèlent pour goûter le partage,
Comprendre qu'il y a au moins 4000 congélateurs pour 5000 habitants dans la vallée,
Les premiers jours étaient frugaux, à la lumière des feux et bougies.
Aller chercher les légumes frais à 5h de marche des agriculteurs coincés en haut de la vallée, 
s'inventer épicier et prendre les commandes au village,
et ne pas comprendre pourquoi l'armée a livré 3 ans de confiture de fraise pour le village...
Organiser un compost au village pour alimenter les poules et les cochons,
Puis profiter des oeufs à prix libre pour faire des gâteaux pour les enfants.
Créer une école alternative en 3h pour les enfants chamboulés par cette année,
et proposer au restaurant qui a peur pour son avenir de faire la cantine de l'école,
Faire en sorte de garder la seule librairie de la vallée,
Faire en sorte de garder des rêves d'avenir.

Se réorganiser en local,
et nous pensons déjà à la vallée de demain.
On peut réinventer, ensemble
car on habite cette vallée.
HABITER

Ce mot, habiter, je le vis, je l'incarne,
Et c'est aussi notre livre Tou.te.s Habitan.te.s,
J'ai hâte de m'y remettre,
tout en gardant le fil avec la reconstruction de ma nouvelle vallée, ma nouvelle maison,
J'ai du mal à partir du village car j'ai l'impression de déserter dans un moment où nous avons besoin de forces vives et de penser toutes et tous ensemble au futur. 
Nous sommes le village le moins touché, nous devons montrer l'exemple et donner la force, pour ceux et celles qui ne l'ont plus.

Rester avec vous et avec la Roya.

Anouk Migeon
Back to Top